L’art et la technique : 2 savoir-faire au service du mémorial de la Shoah de Cherbourg-en-Cotentin

Interview de Nadine Portier. Architecte-plasticienne de Thèreval. Conceptrice du mémorial dédié à la Shoah et aux Justes. Nadine Portier est indépendante, elle a une formation d'architecte et travaille essentiellement sur des projets artistiques. En parallèle, Nadine Portier a une activité d'ingénierie culturelle et intervient en formation auprès de publics scolaires.

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Pourquoi un mémorial ?

J'ai été contacté par le Conseil Départemental pour donner corps au Mémorial manchois de la Shoah.

Tout le travail de recherche avait été initié et réalisé par un professeur d'histoire-géographie d'un collège de la Manche : un travail mené pendant une dizaine d'années avec ses élèves au recensement des déportés manchois : les Juifs et les Justes. Le mémorial est l'aboutissement physique et matériel contemporain de cette démarche pédagogique.

 

Quelles étaient les contraintes du projet ?

J'ai travaillé directement avec le Conseil Départemental qui m'a donné des contraintes techniques pour l’implantation du mémorial :

La ville : le Conseil Départemental a choisi symboliquement la ville de Cherbourg car c'était le lieu où il y avait l’espoir pour les Juifs de quitter la France en direction des États-Unis.

Le lieu : Cherbourg avait déjà un lieu de recueillement pour les déportés politiques de la Seconde Guerre mondiale et plutôt que de disséminer plusieurs lieux de commémoration, la volonté a été de les regrouper. Nous devions veiller à ne pas dégrader le lieu initial lors de l’aménagement.

L’espace : le projet devait s’harmoniser avec l’existant, déjà très imposant avec un Obélisque en granit. Nous avions une véritable contrainte d’espace : il fallait trouver le moyen d’être présent tout en étant peu envahissant.

2 éléments : nous devions placer d'une part une centaine de noms de Juifs et d'autre part une quarantaine de noms de Justes.

Des panneaux évolutifs : il fallait que les panneaux soient évolutifs dans le temps afin que l'on puisse venir rajouter d’autres noms. La complexité était de trouver les bonnes proportions, et mettre des noms sur des volumes aurait été peu lisible. Nous avions comme référence le Mur des Noms à Paris, un mémorial de la Shoa, où les noms des Juifs sont gravés sur du marbre. Le projet est né de toutes ces contraintes.

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Quels ont été vos axes de conception ?

J'ai proposé de tourner le dos au projet initial en implantant deux panneaux de chaque côté de l'Obélisque afin qu'il puisse y avoir des célébrations de manière indépendante.

Mon idée était de positionner deux éléments verticaux comme on scelle une page de l'histoire, et donner à ces 2 panneaux la forme la plus simple possible. J'ai ajouté des blocs en béton en référence à la Seconde Guerre mondiale : ces éléments associés en béton de forme parallélépipède apportent du volume sur le devant. C'est un moyen de rendre hommage, honorer et commémorer, un peu comme les stèles juives sur lesquelles on pose des petits cailloux pour laisser quelque chose. Cela permet d’être au pied du monument pour trouver le nom de la personne que l'on cherche et aussi de montrer son passage sur le lieu.

J’avais déjà l’idée de l’acier Corten pour la réalisation, une matière qui évoque l'idée du temps qui passe, de la mémoire et du souvenir, avec les nuances de couleurs et l’évolution du matériau dans le temps. 

Il fallait que ce soit le plus simple et le plus sobre possible, sans fioriture, pour que seuls les noms puissent importer. Je voulais que ce soit une oeuvre artistique, bien plus qu’un projet signalétique.

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Vous avez travaillé avec InterSignal sur ce projet

J'ai découvert InterSignal grâce au retour d'expérience des Marais du Corentin.

Lorsque j’ai contacté M. Guillé, le gérant, j'avais déjà en tête ce que je voulais. Nous avons beaucoup échangé sur la partie technique afin de savoir comment nous allions réaliser ce projet, retranscrire l’idée sans la dénaturer. Le projet de départ était d’avoir une simple feuille en acier Corten, j’ai évoqué les sculptures de Richard Serra  que je trouvais très intéressantes. M. Guillé a été de bon conseil et a apporté toute son expertise technique, il m’a déconseillé de mettre une simple feuille de métal, car il risquait d’y avoir des micro-fissures au pied des panneaux du fait de l'oscillation de la feuille avec le vent. En effet, Cherbourg est en milieu marin, et il y a beaucoup d’intempéries, de pluie et de vent. Il y a eu un vrai travail de collaboration entre mes propres idées artistiques et la réalisation technique prise en charge par interSignal.

 

Quels ont été les retours lors de l’inauguration ?

InterSignal s'est occupé de la pose des panneaux le vendredi pour une inauguration le dimanche. Lors de l'inauguration, le métal venait tout juste de sortir de l’usine donc il n'était pas encore oxydé, il était plutôt noir, ce n’est que plus tard qu’il a pris cet aspect orange rouille, ce qui était très beau. J’ai reçu des compliments sur le projet qui prend la juste place, avec une parfaite combinaison des matières et une intégration discrète dans le paysage. Les familles étaient très contentes, car les noms étaient véritablement mis en valeur. Les matières expriment bien la charge émotionnelle. Je suis très contente de la manière dont s'est déroulé le projet au niveau de la communication et du relationnel qui était très fluide. Cela a permis de faire aboutir ce beau projet chargé d’histoire qui sera peut-être source d’inspiration pour d’autres villes.

En savoir +

Article Ouest France du 04/10/2020 : "Cherbourg-Octeville. Un monument pour l'histoire à Cherbourg"

Article Francebleu.fr du 04/10/2020 : "Manche : un mémorial de la Shoah inauguré à Cherbourg" 

Article France 3 Normandie du 04/10/2020 : "Cherbourg-en-Cotentin : le mémorial départemental de la Shoah et des Justes inauguré"

Article Crif.org du 16/10/2020 : "Reportage sur le mémorial de la Shoah de Cherbourg"

Article onac-vg.fr du 04/10/2020 : « Le mémorial de la Shoah de la Manche inauguré à Cherbourg-en-Cotentin »